Détails de l'édition concernée : Fulgence Girard, « Chroniques de la marine française, tome “République” » dans : coll. « Musée litteraire, choix de littérature contemporaine française et étrangère », Les Bureaux du « Siècle », Paris, in-4°, réédition de : Hippolyte Souverain éditeur, Paris, (1836–1837), la collaboration de Jules Lecomte s'est limité à la co-conception du projet, du caractère et du plan. 5 tomes : tome Ⅰ–Ⅱ : « sous la République », tome Ⅲ : « sous le Consulat », tome Ⅳ–Ⅴ : « sous l'Empire ». Un tome supplémentaire était annoncé en 1850 : « sous la Restauration ». La suite de ces chroniques sera publiée dans le feuilleton du Siècle en 1855 pour la période contemporaine, 5 vol., in-8°
Ceci n’est pas une préface : les trois lettres qu’on va lire sont les pièces justificatives de cette nouvelle édition.
D’abord, l’auteur a pensé ne pouvoir placer ses Chroniques de la marine française de 1792 à 1848 sous un patronage plus spécialement autorisé et plus sympathique que celui d’Eugène Sue. Or, voici la lettre que l’éminent écrivain maritime lui adressait en réponse à l’envoi des deux premiers volumes de cet ouvrage :
« Mille fois merci, monsieur, du livre que vous avez bien voulu m’envoyer.
Je vais lire bien avidement votre ouvrage, et je vous demanderai la permission de vous dire l’impression qu’il m’aura causé ; non que je pense que ma façon de voir ou plutôt d’éprouver puisse être comptée, mais parce que, après le plaisir de lire un bon livre, rien ne me paraît plus agréable que de prouver à son auteur que je suis bien entré dans son idée, son plan, ses vues et sa manière. Vous me pardonnerez, monsieur, n’est-ce pas, cette petite vanité d’artiste qui cache encore une arrière-pensée d’intérêt personnel, car, lorsque les deux premiers volumes de mon Histoire de la marine auront paru, je vous les enverrai en vous suppliant aussi de me dire votre avis, persuadé que ces échanges d’appréciations franches et libres ont toujours quelque bon résultat..... » |
Huit jours après il réalisait sa promesse.
Je ne veux pas tarder un instant, » lui écrivait-il, « à vous exprimer tout le plaisir que m’a causé la lecture de votre ouvrage, que je termine à l’instant ; ces chroniques de notre marine républicaine m’ont donné plus que ne m’avait promis leur titre, tout ce que j’attendais de vous.
Ce sont bien les chroniques navales de cette glorieuse époque ; le récit précis, détaillé, coloré, pittoresque des grands mouvements maritimes et des mille combats où se bronzèrent si rapidement et si glorieusement les jeunes couleurs de notre pavillon national. C’est bien cela ; mais, comme je vous l’ai dit, c’est plus que cela encore, c’en est le récit ému, expansif, vivant. On sent le grand souffle de cette époque circuler dans ces pages et s’en dégager en effluves ardentes. A ce propos, permettez-moi de vous soumettre une observation, ou plutôt de vous poser une question : N’avez-vous pas quelquefois cédé trop facilement à ses entraînements ? Et, songez-y bien, un excès appelle l’excès contraire : abyssus abyssum. Lemière l’a dit avec une grande vérité : » On affaiblit toujours ce que l’on exagère.Souvent même on fait plus que l’affaiblir, on le compromet ; je n’en veux qu’un exemple, votre récit de la submersion du Vengeur. Cette unanimité que vous attribuez à son équipage dans la résolution à s’engloutir avec son pavillon est-elle réelle ? Non ! Permettez-moi de vous l’affirmer sur la déclaration de marins qui furent des acteurs de ce drame héroïque. Lorsque l’immortel vaisseau fut sur le point de disparaître sous le poids des eaux qui envahissaient ses entreponts désolés par toutes ses blessures, un assez grand nombre de ses marins, convaincus d’avoir fait noblement leur devoir, et son capitaine fut du nombre, consentirent à accepter le moyen de salut que leur offrirent les embarcations anglaises accourues à leur secours. Ce fut la minorité sans doute ; la majorité, la grande majorité, c’est incontestable, dominée par un enthousiasme qui a fait de cette catastrophe un des plus grands spectacles de l’histoire, préféra s’abîmer aux cris de Vive la république ! à se rendre à l’ennemi. Mais pourquoi n’avoir pas rapporté ce grand fait d’armes dans sa réalité complète ? Est-ce que le sauvetage de ces braves, qui avaient d’ailleurs si généreusement combattu, ne donne pas un nouvel éclat à la libre spontanéité des autres dans leur résolution sublime ? Ce sont ces altérations qui ont pu seules donner quelque gravité aux haines politiques ou nationales qui se sont entendues un moment pour contester à nos annales maritimes ce glorieux feuillet. Pardon, monsieur, de ces réflexions qui me sont inspirées par le vif instinct que je porte et la haute valeur que j’attribue à vos chroniques. Cette valeur sera celle, n’en doutez pas plus que moi, que leur attribuera l’opinion publique. La marine et le pays vous seront reconnaissants de toutes les recherches qu’a dû vous coûter ce long et difficile labeur. Vous n’avez pas eu, comme la plupart des historiens, la source multiple des récits antérieurs, des mémoires contemporains, des histoires générales et partielles où ils puisaient les éléments de leurs ouvrages. Les journaux mêmes vous ont manqué, car je ne sais par quelle fatalité les feuilles publiques, si prodigues de détails, si prolixes dans leurs développements quand il s’agit des mouvements et des gestes de nos armées de terre, sont d’une circonspection si concise dès qu’elles ont à rapporter les croisières et les combats de nos escadres ou de nos vaisseaux. Vous avez donc eu tout à faire dans ce travail d’ensemble, que le premier vous avez osé aborder. Vous avez dû en chercher, découvrir, recueillir, contrôler et coordonner les mille faits divers ; les aller puiser à leurs sources naturelles, non seulement dans les cartons des ministères et dans les archives de l’État, mais dans les livres et les dépôts des commissariats de la marine, dans les registres municipaux de nos ports, dans les dossiers de leurs greffes consulaires, et surtout dans la mémoires de nos vieux marins. Vous l’avez fait, et dans quel temps ! au moment où tant de nobles et précieux souvenirs allaient s’éteindre ; où, avec la vie de ceux qui en furent les héros, tant de faits glorieux allaient s’évanouir dans la mort. Voilà ce dont, pour ma part, je vous suis sincèrement reconnaissant ; et, croyez-le bien, cher monsieur, ma reconnaissance ne fait que devancer celle de notre marine et du pays… » |
En transcrivant ces lettres, nous n’ignorons pas la large part de leurs énonciations qui doit être faite aux courtois euphémismes d’une effusion intime et à l’indulgence de l’amitié ; mais elles signalent des points matériels qui nous paraissent justifier la réimpression de ces chroniques, et cette considération nous a fait croire non seulement à l’utilité mais encore à la convenance et à l’opportunité de leur publication.
La lettre qui va suivre a un tout autre caractère. C’est celle d’un ami devenu depuis un écrivain célèbre. Monsieur Jules Lecomte devait être mon collaborateur pour cet ouvrage, dont nous avions conçu en commun le projet, le caractère, le plan. Il explique lui-même la cause qui le détermina à y renoncer et le motif pour lequel son nom figura pourtant sur le couverture des cinq premiers volumes.
Voici celle lettre ; elle est adressée à monsieur Louis Desnoyers, l’éminent et regretté directeur littéraire du Siècle, qui devait publier ces volumes dans la partie de ce journal consacrée alors aux réimpressions :
« Paris, 22 novembre 1850.
Monsieur,
Je lis dans la note dont vous avez fait précéder la publication des Chroniques de la marine française depuis 1815, par monsieur Fulgence Girard, qu’il fut le collaborateur de l’histoire dont les époques ont précédé.
Jules Lecomte
31, rue Le Peletier, Paris. » |
Nous devons constater ici, avec l’expression de notre reconnaissance pour le sentiment spontané qui inspira cette lettre, celle du vif regret que nous avions éprouvé d’être privé, dans la composition de cette œuvre historique, du concours du brillant chroniqueur dont la plume lui eût assurément communiqué un incomparable éclat. Nous la rééditons telle qu’en y apportant tous nos efforts et notre zèle nous avons pu l’écrire, et demandant au lecteur une partie de l’indulgente bienveillance qu’a eue pour elle notre maître et notre ami Eugène Sue.
Bacilly, 15 décembre 1868.