Article de Fulgence Girard paru dans Le Monde illustré n°6, p. 13, le 23/05/1857.
À propos de cet article
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Lord Palmerston |
Henry John Temple, vicomte Palmerston, est né le 20 octobre 1784. Il n’appartient point à la haute aristocratie britannique. On chercherait vainement son nom dans le Domesday-Book . On ne trouverait pas plus son origine sur les cimes anglo-normandes que sur les sommets anglo-saxons ; sa source jaillit d’une zone inférieure. Sa famille, originaire du Buckinghamshire, ne passa en Irlande que vers le milieu du dix-septième siècle. Elle donna à l’Angleterre un habile diplomate le siècle suivant : un de ses membres, sir William Temple, signa avec Jean de Witt, dont un descendant a épousé une des filles de notre célèbre historien M. Guizot, le traité conclu entre l’Angleterre, la Hollande et la Suède, pour forcer la France à restituer ses conquêtes septentrionales. On voit que ce ne fut pas absolument l’amour de notre pays dont, enfant, il suça le lait dans les traditions de sa famille.
Son père, d’un caractère orgueilleux et sévère, remplissait la charge d’attorney général pour l’Irlande ; le jeune Henry John trouva cependant le cœur le plus tendre et le plus complaisant dans ce père rigide. Nulle enfance ne fut entourée de plus de soins, de plus de sollicitudes, d’une plus aveugle indulgence. D’abord il était l’aîné de la famille, question grave dans les maisons anglaises ; de plus, jamais la nature n’avait comblé un enfant de dons plus nombreux : ses grands yeux bleus, sa jolie tête blonde toute rutilante de boucles soyeuses lui avaient mérité le doux non d’Ariel ; ce nom devait être remplacé plus tard par celui de Cupido, que lui méritèrent ses prouesses mondaines. Le bel enfant, volontaire, pétulant, espiègle, fut avant tout un enfant gâté.
Il fallut qu’il quittât ces doux loisirs de la famille pour les ennuis de la vie scolaire ; ce fut sur les bancs du collège aristocratique de Harrow qu’il vint s’asseoir. Il eut pour condisciples lord Byron, Hobhouse, sir Robert Peel et plusieurs autres écoliers qui, selon les expressions de Thomas Moore, dans une note des mémoires de Byron, parlèrent beaucoup et firent beaucoup parler d’eux. Quoique ses aspirations se portassent moins vers les palmes académiques que vers les myrtes de la fashion, ses travaux n’y restèrent pas sans succès ; il y fit ce l’on appelle vulgairement d’assez bonnes études. Il en rapporta toutefois quelques rudes souvenirs. Byron et lui étaient peu sympathiques. Byron, qui avait déjà le caractère des poètes, genus irritabile, et qui pratiquait la boxe comme plus tard il façonna les vers, eut avec lui plusieurs collisions. Le futur ministre de la guerre, secretary of war, sortit moins fier que meurtri de ces premiers combats.
Il quitta le collège d’Harrow pour l’université d’Édimbourg et plus tard l’université d’Édimbourg pour celle de Cambridge. Ses tendances et ses goûts, jusque-là comprimés, prirent alors leur plein essor. Il devint dans ces deux villes le héros des chroniques secrètes et la fleur des pois du dandysme. Telle fut la turbulence de sa vie de plaisirs, que l’on dut songer à l’en arracher par un moyen héroïque. On plongea cette nature ardente dans le bassin réfrigérant de la vie publique. Sa famille lui trouva un bourg fermé, close boroughs, qui l’envoya en 1805 à la Chambre des communes. Cet empirisme ne put rien sur cette fougue effervescente. S’il devint célèbre au Parlement, ce fut par les nœuds de sa cravate et la coupe de ses habits ; la scène de ses intrigues fut le bal d’Almack et le Parquet des raouts, sa tribune fut celle de New-Market ou d’Epsom. Il fut connu dans tout Londres pour ses galantes apprises, dans l’Angleterre entière pour l’excellence de ses chevaux. Ce ne fut que plus tard que cette brillante banderole se laissa emporter par les souffles divers de la politique ; mais là elle nous échappe de nouveau : nous n’avons pas à rechercher si le secret de la hauteur où elle flotte se trouve dans des qualités spéciales, ou uniquement dans sa légèreté. Ce que nous pouvons dire, c’est que, acception faite des changements qu’opère inévitablement l’âge, on retrouve sous les cheveux blancs du leader le gentleman raide et un peu débraillé de ses blondes années, l’esprit souple et courtois de ses beaux jours. Que l’on contemple dans notre gravure les traits fiers, gracieux et intelligents de cette belle tête photographiée expressément pour le Monde illustré, il y a quelques jours, et l’on connaîtra lord Palmerston mieux que par une longue étude psychologique, car c’est pour ce caractère d’ardente spontanéité et d’ostentation que l’on peut dire avec Lavater : Le visage, c’est l’homme.
Lord Palmerston, qui a toujours eu des prétentions littéraires, est devenu depuis une quinzaine d’années un de ces grands seigneurs-Mécènes qui sont en Angleterre les protecteurs des beaux-arts. Son hôtel a sa galerie, comme doit l’avoir outre-Manche toute noble et grande maison. C’est que l’illustre lord, dont la fortune était relativement assez modeste, a donné en 1840 une large base à sa vie en épousant la sœur de lord Melbourne, la veuve du comte Cowper ; lady Cowper joignait en effet une puissante fortune à ce qu’elle conservait d’une beauté qui a été jadis une des sensations et des célébrités des salons anglais.
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