Très vite, l’érudition et l’art d’écrire de ce jeune abbé en font un personnage remarqué. Passionné de recherches dans les domaines de l’histoire et de l’archéologie, ses travaux sont bientôt connus et appréciés.
En 1869, son évêque, devant se rendre à Rome pour le concile de Vatican, lui demande de l’accompagner en tant que secrétaire. Le destin de l’abbé Deschamps va s’en trouver bouleversé : bientôt honoré par le pape Pie IX du titre de Camérier, il s’éprend de Rome et de l’Italie alors en marche vers son unité.
En 1875, c’est à Naples qu’il décide de se fixer définitivement. Pendant plus de trente ans, il y mène de front sa mission d’homme d’Église, ses travaux de recherches et une intense activité littéraire et journalistique.
Il meurt, en août 1906, à Naples où il repose au cimetière Poggioreale.
Intriguée par la découverte, dans des papiers de famille, d’une lettre de Mgr Deschamps du Manoir à ses petits-cousins Fulgence et Marguerite Le Bouffy (grands-parents de l’auteure), celle-ci a souhaité en savoir plus.
Cette lettre, envoyée depuis Naples et datée de 1899, fut le point de départ d’une passionnante enquête menée à partir des écrits de Joseph Deschamps du Manoir et de sa correspondance.
En donnant vie à ce personnage ancré dans son passé familial, et en restituant une partie de ses écrits, l’auteure immerge le lecteur dans la société et l’histoire de son temps.
Pour le plus grand plaisir du lecteur, l’auteure cède souvent la plume au conteur talentueux qu’était Deschamps du Manoir. Ainsi cette biographie se trouve-t-elle enrichie de nombreux et larges extraits de ses écrits.
Ces « encadrés » sont au nombre de quarante, en voici la liste :
À titre d’exemples, quelques uns de ces encadrés sont proposés ici en téléchargement :
« L’abbé Deschamps » parle ici de son installation à Rome et de l’ambiance qui y règne.
Ce nouveau séjour dans la ville éternelle se présentait avec des conditions extraordinaires d’intérêt et d’agrément. Au palais, chacun déjeunait quand il était prêt et avait célébré la Sainte Messe. Le dîner était à une heure, ou à l’issue des Congrégations du Concile, quand elles se prolongeaient, et le souper à huit heures et demie. Ensuite, on se retirait chez soi, ou bien on se réunissait par petits groupes. Nous allions d’ordinaire passer une heure avec Monseigneur de Roseau2. Les relations extérieures pour dîners, soirées et visites étaient fréquentes. Aussi le temps s’envolait-il avec une rapidité sans égale. […]
Rome en effervescence Pendant cette période du concile, Rome est en effervescence : une foule de prélats déambulent dans les rues de la ville, d’autres, en voiture à cheval, ont du mal à circuler dans les voies encombrées, et tout cela dans une atmosphère de fête et de réjouissances populaires.
L’abbé Deschamps évoque la journée d’ouverture du concile, le mercredi 8 décembre.
Rome s’est éveillé au son des cloches de toutes les églises, et au bruit du canon du Château St-Ange annonçant la grande journée…
À la basilique Saint-Pierre se déroule la grandiose cérémonie d’ouverture du concile, qui dure de huit heures à quinze heures. En fait de princes, il n’y avait que ceux que la fortune a trahis, et dont quelques uns peut-être s’attachent à Dieu dans la mesure des abandons terrestres. Le roi de Naples accompagnait sa belle-sœur, l’impératrice d’Autriche, dont la couronne est ébranlée et amoindrie. Les autres princes italiens détrônés étaient aussi présents, le grand-duc et la grande-duchesse de Toscane, le duc et la duchesse de Parme, chers à la France, et le duc de Modène.
Il décrit l’atmosphère de liesse qui submerge Rome, jour et nuit, en cette période de concile
Les “Pifferari”, avec leurs “zampogne”2, parcourent les rues de Rome pendant une grande partie des nuits.
Notes :
- Il pourrait s’agir de Mgr René Poirier, évêque de Roseau (sur l’île de la Dominique) de 1858 à 1878.
- Dans ses Mémoires, se rapportant à la période 1803-1865, évoquant la musique à Rome, Hector Berlioz fait une description des “Pifferari” : « on appelle ainsi des musiciens ambulants, qui, aux approches de Noël, descendent des montagnes par groupes de quatre ou cinq, et viennent, armés de musettes et de “pifferari” [espèce de hautbois - N.d.A.], donner de pieux concerts devant les images de la madone. Ils sont, pour l’ordinaire, couverts d’amples manteaux de drap brun, portent le chapeau pointu dont se coiffent les brigands, et tout leur extérieur est empreint d’une certaine sauvagerie mystique pleine d’originalité. »
La “Zampogne” est un instrument de musique de la famille des cornemuses.
p. 96 |
p. 97 |
p. 135 |
p. 280 |
C’est une plongée dans le XIXè siècle… On y découvre d’incroyables anecdotes, des portraits taillés dans le vif, le charme de la Normandie et les couleurs de l’Italie.
Feuilles échappées, p. 107 :Sur les bords de la Rance Feuilles détachées (1878), 1ère partie, Voyages et descriptions, V, Saint-Malo et Saint-Servan.Les bords de la Rance valent les rives de la Loire. Rien de plus charmant que leur mélange continuel de rochers et de verdure, de grèves et de forêts, d’antiques donjons de la Bretagne féodale et de riantes villas de la Bretagne commerçante. Celles-ci ont été construites dans un temps, où les Armateurs de Saint-Malo étaient assez riches pour prêter des millions aux rois de France, et fricasser des piastres[voir encadré], dans leurs jours de goguette, pour les jeter toutes brûlantes par les fenêtres au peuple qui remplissait la rue. Ces belles demeures s’appellent Bonaban, dont une partie est en marbres de Gênes, la Brillantais, Le Beau, Le Mont-Marin, La Ballue, Le Colombier, etc., etc., et leurs jardins en terrasses regardent la Rance, de laquelle on admire les eaux jaillissantes et les arbres exotiques qui les décorent. Je n’oublierai jamais l’effet magique produit sur moi par ce spectacle, la première fois que j’en jouis, seul dans une barque, au lever du soleil d’un beau jour d’été.
La fricassée de piastres : une recette de corsaire.
Les piastres.
La piastre fut une unité de monnaie dans plusieurs pays. Au XVIème siècle, c’était la monnaie en cours à Venise. La piastre fut longtemps une monnaie d’échanges dans le commerce avec les pays du Levant. Ce nom vient de l’Italien piastra, mot venu lui-même du latin emplastrum qui signifie plaque de métal.
La piastre est encore une sous-division de monnaie dans certains pays du Moyen-Orient.La fricassée.
Si l’on consulte le Dictionnaire de l’Académie Française (édition de 1835), voici ce que l’on trouve pour le verbe Fricasser. "Faire cuire dans la poêle, dans une casserole, etc. quelque chose, après l’avoir coupé par morceaux. [.] Il signifie, figurément et populairement, dissiper en débauches et en bonne chère. Il fricasse tout. Il a fricassé tout son bien."
Dans l’extrait ci-contre, Joseph Deschamps du Manoir évoque l’opulence dans laquelle vivaient, au temps des corsaires, les armateurs de Saint-Malo. Ils pouvaient bien, par conséquent, être tentés de dissiper leur bien.
Mais, en fait, en choisissant cette expression, notre conteur fait aussi allusion aux histoires qui se racontaient sur ces corsaires et armateurs.
Il se disait qu’au retour de leurs fructueuses courses contre les navires de commerce anglais, ils faisaient fricasser des piastres dans une poêle, et les jetaient bouillantes aux enfants qui étaient sous leurs fenêtres. Ceux-ci se brûlaient les doigts en cherchant à les ramasser.
Légende ou pratique avérée, certains faits sont là : les activités corsaires du port de St Malo aux XVIIème et XVIIIème siècle ont fait la prospérité de cette cité et de ses armateurs. Ce fut le cas aussi d’autres ports de la côte, comme celui de Granville. (cf. note de contexte p. 200).
Feuilles échappées, p. 155 et 156 :M. Pilleverse, riche et vieux garçon « Notes pour servir à l’histoire de Granville »,
Revue de l’Avranchin, 10, 1900-1901 et 11, 1902-1903.M. Pilleverse, riche et vieux garçon, était resté fidèle à la culotte courte et aux souliers à boucle d’argent. Vêtu de noir, il s’appuyait sur sa canne, car il était si boiteux qu’un de ses genoux touchait presque à terre ; il courait néanmoins comme le vent et les basques de sa redingote s’agitaient comme des ailes.
À Florence, au motif du choléra, d’insupportables vexations Trois mois en Italie, VI (1868).
Nous arrivâmes à Florence le 1er juillet, vers midi, avec deux heures de retard, à cause du nombre de wagons et de l’affluence des voyageurs. Les Piémontais, vexés du succès des fêtes, qu’ils regardaient comme une protestation contre leurs envahissements, voulurent, en attendant mieux, en tirer une vengeance puérile, et, sous prétexte que le choléra sévissait à Rome, ils soumirent les voyageurs à des fumigations répétées à Florence, Bologne, Padoue, Venise et Turin.
À Padoue, par une exception inqualifiable, on n’en gratifia que les prêtres français, reconnaissables à leur rabat. Aussi j’arrachai le mien que j’avais remis au sortir de Rome à la place du Collaro, et je le laissai dans la salle des fumigations pour ne pas le reprendre. À Florence, on avait ajouté aux fumigations des aspersions pour les malles avec je ne sais quelle drogue, qui enlevait la couleur des étoffes. Je m’en aperçus à temps pour sauver de ce guet-apens la plupart de mes effets.
En devenant la capitale du royaume d’Italie1, Firenze la bella est devenue le centre de toute une population flottante sans aveu et sans foi, qui regarde les étrangers comme des épaves jetées à sa merci. Les facchini2, les marchands et les ouvriers dont j’eus besoin étaient d’impudents coquins dont la mauvaise foi oubliait même de sauver les apparences, tant ils étaient dominés par l’amour du lucre per fas et nefas3. Je ne sais si ce fut la nécessité de lutter contre ces convoitises désireuses de s’annexer ma bourse, et cette certitude de me trouver au milieu d’une ville où se rencontre l’écume d’une société en fermentation, mais je ne me plus pas à Florence et j’en partis avec plaisir le surlendemain : « Vivat Mascarillus fourbum imperator4 ».
Notes :
- Dans l’histoire de la construction de l’Unité Italienne, Florence fut, entre 1865 et 1870, la capitale du royaume. NDR
- Porteurs. NDR
- Par tous les moyens possibles. NDR
- Référence à la fourberie des valets dans les comédies de Molière. Ces mots en latin approximatif sont prononcés par Mascarille dans L’Étourdi. NDR
La biographie Monsignore Deschamps du Manoir (63 MB) |
Le recueil de textes Feuilles échappées (5 MB) |
Licences : textes sous CC-BY-SA, illustrations DP ou TDR.
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