Comment résumer une vie d’homme aussi prolifique et diversifiée en une page web ?
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Haute-Ville de Granville au début du XVIIIe siècle. Nous avons pointé sur cette carte un peu plus ancienne que lui, la maison de naissance de Girard (source Archives départementales de la Manche). | Son père Nicolas Antoine Girard dit Le Jeune (1771-1835) |
Sa mère Rosalie La Houssaye (1775-1865) |
Fulgence est donc baigné dans le monde maritime. Vers 8–9 ans, il assiste à la mise à l’eau d’un navire armé par son père, et dont il est le parain : la Marie, évènement qui le marquera fortement (il donnera même ce nom au bateau du chapitre 1 de son récit Gaud le bon ami).
Devenu adulte, Girard épouse à Avranches le 3 février 1836, Adrienne Julie Desfeux (1817–1865). Il a 29 ans, elle en a 19, son père est notaire à Sartilly.
Fulgence et Adrienne auront quatre filles :
Sa sœur Rose (1802-1846) |
Son neveu Mgr Deschamps du Manoir |
Liens généalogiques :
Avec sa famille, il habite La Broise, une propriété familiale à Bacilly mais fait de fréquents déplacements à Paris.
Il perd son épouse le 14 mars 1865 ; elle a 42 ans et leur dernière fille Inès n’a que 10 ans.
Fulgence s’éteint à la Broise le 10 avril 1873 à près de 66 ans. Il reposera avec son épouse dans le cimetière de Bacilly.
C’est en 1832 que nous retrouvons son nom pour la première fois dans un Keepsake (Keepsake breton), un recueil de 40 poèmes de 21 différents auteurs, édité au profit des pauvres. Il contribue à partir de là à plusieurs ouvrages dont les plus remarquables sont Les personnalités, appréciation critique des contemporains, des portraits dont certains au vitriols de personnes aussi puissants que Thiers ou Lafayette.
C’est au début du XIXe siècle que les activités d’éditeur et de libraire se séparent. Avant cela, les libraires achetaient les manuscrits aux auteurs, les faisant imprimer et les débitaient dans leur boutique. Cette gravure représente les magasins de la Librairie Nouvelle, qui est éditeur de la revue Le Monde illustré où écrit Girard. Cliquez ici pour en savoir plus.
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Journal d’Avranches : Ce journal était installé depuis sa création le 02 juillet 1837 au n°8 de la rue des Fossés et du Tripot à Avranches où se trouvai aussi l’imprimerie Tolstain qui le publiait. En novembre 1855, le journal est transporté au n°6 rue des Fontaines-Couvertes. En février 1868, Mariantine Bazire Vve Tribouillard, réunit son journal L’Avranchin avec le Journal d’Avranches. Girard est à un moment directeur et principal contributeur du Journal d’Avranches. Ce journal lui sert de tribune pour critiquer le régime que la Monarchie de Juillet fait subir des prisoniers politiques républicains au Mont-Saint-Michel, dont il a plusieurs amis, et client (en tant qu’avocat). Voir plus loin Girard et les républicains sociaux. |
Le Navigateur : “journal des naufrages et des autres événements nautiques” édité au Havre par une “société de marins” entre 1829 et 1833 puis entre 1834 et 1838 (nouvelle série). Édouard Corbière, le « père du roman maritime en France » y écrit de nombreux articles et même en dirige un temps la rédaction. Ce périodique deviendra par la suite la Revue maritime, absorbée elle-même par Le Journal de la marine : revue des voyages.
Pour en savoir plus, je vous renvois à cet article de Jean-Pierre Robinchon publié dans Jeune Marine, n°100 : « Les Précurseurs de “Jeune Marine” » (03/1992). [sur le site de la revue]. |
Les cours de géographie de Girard : dans « Mont-Saint-Michel - un drame sur les grèves », il commence par décrire avec précision le mont, la flore, l’économie, la géologie, les oiseaux, coquillages et autres animaux (dont une certaine coque-cigrue), les dangers de la baie. Ce dernier point lui servant de transition, il narre ensuite une histoire d’amour contrarié et d’intrigue politique qui vire au drame (les personnages sont Marguerite Le Baffle, Pierre Edom, Jacques Dubos et… la marée). Dans « Mœurs des populations maritimes », il fait la description des mentalités des côtiers : ils connaissent excellemment bien leur Histoire locale. Il ne nous fait pas grâce de leur constitution (anatomie), jusqu’au point de dire de ces femmes qu’elles sont “généralement bien faites” mais qu’elles ont “peu de développement des muscles mammaires”. La partie descriptive de ce texte, il la réutilisera dans l’introduction du recueil de nouvelles Sur nos grèves. Nous avons donc des cours de géographie dans ses récits, et des histoires dans ses documentaires. Son projet littéraire transparaît à travers ces exemples, et il le précise d’ailleurs lui-même : pour faire connaître ces mœurs, il faut les mettre en fiction. |
C’est à cette date (1835) que nous trouvons son premier vrai livre, un roman en 2 volumes : Deux Martyrs publié à Paris chez Hippolyte Souverain. Il écrira plusieurs récits jusqu’en 1861, que nous retrouvons soit en livre, soit en feuilleton ou en nouvelle dans des périodiques : Gaud, le bon ami (ca 1834), Berthe la maréieuse (ca 1834), Deux Martyrs (1835), Marceline Vauvert (1837), Maître Blanchard le douanier (1840), Loïk l’enfant des côtes (1840), L’Engrenage (ca 1855), Un corsaire sous l’Empire (1857), Giulia Falcom (18xx).
Ces histoires se passent souvent « sur nos grèves », c’est à dire sur les grèves du nord de Bretagne et de Basse-Normandie. Il y dépeint dans une langue riche et expressive ces régions où il est né et ces gens de mer qu’il connaît bien. Ses descriptions de Mœurs maritimes, comme il dit, frisent la description sociologique, voire ethnologique. Dans ses essais et textes documentaires (La France Maritime, Chroniques de la Marine française), il ne manque pas une occasion d’instruire le lecteur en y glissant ses descriptions du pays (géographie, géologie, Histoire) et du peuple de ces côtes.
Il n’est pas rare de retrouver la même histoire publiée plusieurs fois, avec des variantes ; ainsi des mélanges de réalité et de fiction, et nous pensons qu’il se trouve encore des nouvelles ou romans inconnus de nous, publiés sous forme de feuilleton dans les revues de l’époque.
Toujours à la même époque, il entame avec son ami Jules Lecomte, qui est alors plus célèbre que lui, un ouvrage considérable visant à couvrir l’histoire de la marine de 1789 à 1830 : Chroniques de la marine française. Jules Lecomte se retire rapidement du projet, trop prenant, mais reste à la signature pour faire profiter le livre de sa renomée. Le premier volume parait en 1836 et Girard y déploie ses talents d’historien sur 5 tomes, suivis de rééditions et d’une suite en feuilleton dans le quotidien Le Siècle (à partir de 1850).
Entre temps, il n’écrira pas moins de sept livres d’Histoire : Annuaire d’Avranches (1842), Histoire géologique (…) du Mont-Saint-Michel (1843), Histoire du Mont-Saint-Michel, comme prison d’État (1849), Histoire de la révolution de 1848, Mystères du grand monde, Histoire (…) de la guerre d’Italie (1859), L’Histoire du Second Empire (1861). [j’ai raccourci les titres pour clarté, Cf ici pour la liste de ses écrits]. Chaque livre pouvant s’étendre sur plusieurs tomes, la somme est considérable (en 1848, Girard recense 18 volumes écrits sous l’empire des doctrines démocratiques.)
Sous le second Empire, Girard est un chroniqueur rafiné. Il est publié hebdomadairement dans Le Monde Illustré. Il y écrit dans tous les domaines : mondanités, drames de l’actualité, critiques artistiques en lettres ou architecture, nécrologie, reportages, y compris de contrées lointaines. Ses reportages s’émaillent toujours d’un enrichissement culturel et va chercher dans l’Histoire et la Géographie les racines des événements ou lieux dont il parle.
Au fil de ces pages, on rencontre parmi ses voisins de plume les écrivains Alexandre Dumas (père) et George Sand, le musicien Hector Berlioz. À partir du second semestre 1858, ses récits d’événements lointains sont titrés Chronique de la province et de l’étranger.
On le retrouve en feuilleton dans Le Siècle, pour ses chroniques historiques on ses fictions.
Ses textes font encore référence : un historien me disait encore récemment l’avoir cité comme source dans une publication.
Nous distinguons plusieurs axes dans ses travaux : histoire locale, histoire maritime, histoire récente et politique, histoire anecdotique .
C’est dans cette catégorie que nous avons classé l’Annuaire d’Avranches (titre exact : Annuaire d’Avranches, première année). Ce livre se voulait un almanach annuel, mais sur 349 pages de texte, il y en a 190 sur l’Histoire d’Avranches : plus de la moitié ! Le reste est un guide du voyageur (18p), un annuaire (58p), un calendrier (32p) et des éphémérides (51p) qui ne sont autres que des listes d’anecdotes historiques survenues sur des dates de calendrier ! C’est donc avant tout un livre d’Histoire. D’ailleurs, il ne fera jamais les années suivantes…
Dans ses analyses de l’Histoire lointaine, il rejette les chroniques des faits merveilleux et autres miracles qu’il retrouve régulièrement dans les sources qu’il consulte. En réaction aux récits de loups portant des aliments à des hermites, ou d’un archange ordonnant à l’évêque Aubert de construire un monument sur le roc de Mont, il écrit : « nous, à qui notre caractère d’historien fait de la recherche de la vérité un devoir, abandonnant au poète les merveilles des chroniques, nous nous efforcerons de dépouiller les faits de leur voile religieux. ».
Si vous vous souvenez de livres scolaires racontant que Jeanne d’Arc est allé libérer le royaume de France après avoir entendu les voix de l’archange saint Michel, c’est peut-être que nous n’avions pas assez d’Historien ayant cette attitude.
Il est secrétaire de la société d’archéologie d’Avranches. Il contribue à leur revue, à leurs réunions. Nous avons retrouvé un « Mémoire sur le camp romain, dont les ruines couronnent la hauteur dite “le Chatellier”, dans la commune du Petit-Celland » (1842). Nous n’avons pas de doute qu’il a dû être un grand contributeur, ses articles restent à retrouver…
C’est à titre d’historien, archéologue spécialiste du Mont-Saint-Michel qu’il peut s’en approcher, y circuler, et échanger avec les prisoniers politiques (Le Mont est alors une prison d’État, voir plus loin sur ce sujet).
Ses Chroniques de la marine française couvrent en détail l’histoire de la marine : les batailles, la politique, les grands évènements… de 1789 à 1848.
C’est une œuvre majeure parue en 5 volumes en 1836–1837, puis augmenté dans une réédition de 1870. En parallèle, ces chroniques étaient publiées en feuilleton dans des quotidiens (1850 dans Le Siècle). Autant dire que toute sa vie il a eu l’occasion de retravailler cette œuvre au fil des rééditions successives (la version de 1870 est environ quatre fois plus longue que cette de 1836 !).
Dans ses articles, il parle encore de l’Hitoire de la marine : au temps des Gaulois, des Francs, des Vikings (les Normands), sous l’ancien régime…
Le Mont-Saint-Michel prison d’État (titre complet Histoire du Mont-Saint-Michel, comme prison d’État, avec les correspondances inédites des citoyens : Armand Barbès, Auguste Blanqui, Martin-Bernard, Flotte, Mathieu d’Épinal, Béraud, etc.) a été écrit en 1849, c’est à dire après la fin de la monarchie de juillet. Il commence par retracer l’histoire du Mont en tant que prison, puis, lorsqu’il arrive à la monarchie de juillet, il se retrouve à raconter les injustices et les misères des prisonniers qui sont aussi ses amis, avec lesquels, raconte-t’il, il eut une correspondance secrète et organisa des tentatives d’évasion.
Ce livre concentre Histoire récente, Histoire locale, aventures, militantisme républicain…
Nous n’avons pas pu consulter son Histoire démocratique de la révolution de février 1848 ni son (attention titre à tiroir) Histoire générale anecdotique, pittoresque… de la guerre d’Italie, contenant toutes les pièces officielles, notes et documents authentiques… par Fulgence Girard et continuée jusqu’à la paix de Zurich par Th. Viéville.
Lorsqu’il écrit son Histoire du Second Empire, tome I, en 1861, il est en plein dedans. C’est comme si quelqu’un écrivait aujourdhui l’Histoire de la 5e république (je trouve une poignée d’Histoires de la 5e République dans le catalogue de mon libraire, donc c’est dire si ce n’est pas original).
La profession de foi de Girard pour les élections de 1848 (cliquez pour zoomer). |
La société de l’époque voit la condition ouvrière se détériorer sous l’effet de l’exode rural et des conditions de vie toujours plus difficiles, liées aux prémices de la révolution industrielle, ce qu’on appellera le paupérisme. Divers mouvements ouvriers luttent contre ces conditions.
En même temps des partisans républicains non satisfaits de l’évolution de la politique française à l’issue de la révolution de juillet (les Trois Glorieuses, qui ont remplacé Charles X par Louis-Philippe), épris d’aspirations libérales, égalitaires, forment des sociétés secrètes, dont certaines à buts révolutionnaires.
Sous la poussée de ces deux mouvements, la monarchie de juillet, puis plus tard la seconde république, sont secoués d’insurrections violentes, dont la première fut la révolte des Canuts à Lyon en novembre 1831.
En 1833, Girard exprime ouvertement son opposition de certaines politiques, Thiers le premier.
Il figure dans la commission de la loterie patriotique de 1834. Il contribue aux Veillées du peuple, mensuel socialiste.
Armand Barbès |
Certains insurgés choisissent comme conseil des personnes non inscrites au bareau, ce qui leur est refusé. En réaction et dans l’indignation générale, une lettre ouverte Aux prisonniers d’avril est publiée, co-signée par l’ensemble des défenseurs, dans laquelle la Cour des pairs à l’heur de se trouver insultée. Ceci donnera lieu à un second procès dans le procès, où seront accusés tous les défenseurs. La cour demandera à chacun, sur l’honneur, si son nom a été rajouté à son insu à cette lettre. Certains refusent de répondre, d’autres font des réponses vagues ou nient. Girard est assigné à comparaître à la Chambre des pairs le 29/05/1835 et fera la réponse suivante.
Je déclare me réunir à mes co-accusés ; je remercie M. le président de me permettre de lui dire que c’est une immoralité aux yeux de la raison de placer un homme entre son devoir et la séduction de l’intérêt ; mais cette séduction ne saurait nous atteindre, messieurs les pairs ; nous ne transigerons jamais avec notre devoir. Je le déclare pour rendre hommage à la vérité, je n’ai point signé la lettre ; je n’ai point pris part à sa publication ; je n’ai autorisé personne à la publier. Maintenant, vous devez savoir qu’aucun sentiment de crainte ne peut avoir détermpiné cette déclaration ; vous pouvez cependant me condamner.Girard ne sera pas condamné.
En octobre 1841, il rédige avec eux une pétition de M. Carle et Mme Augusta Carle, sœur d’Armand Barbès, qui lancera une campagne de presse sur les prisonniers politiques (Journal du Peuple, Le National, plus tard La Réforme…) qui aboutira ultérieurement (1844) à des discussions à la Chambre des députés autour de la loi sur les prisons.
À la fin de la Monarchie de Juillet, il cumule, pour faits politique, trois inculpations , et une condamnation.
Au procès de Bourges de 1849, Girard est l’un des défenseurs |
Parmi les prévenus, figurent Blanqui, Flotte, Barbès, Raspail, Blanc (contumace). Ces gens sont les amis de Girard, et il est encore parmi leurs défenseurs, cette fois-ci devant la Haute Cour de justice de Bourges, qui s’est tenue du 7 mars au 3 avril 1849.
F. Girard et Anger Fils, à Brouains près Sourdeval (Manche) Fabrique de papiers mécaniques en tous genre. |
La presse du XIXe est une filière extrèmement active, qui fait vivre quantité d’ouvriers, en même temps qu’elle permet la diffusion de la connaissance, des idées, et l’expression démocratiques par l’apparition de revues politiques et la possibilité qu’à chacun d’en fonder une.
Il y a donc bien sûr une grande demande de papier. Le papier est fabriqué à partir d’une pâte de matériaux cellulose, que l’on peut obtenir à partir de diverses matières premières (chiffons, coton, vieux papiers, bois, et même crotin). La vallée de Brouain, ou s’écoule la rivière Séé, se spécialise dans la production de papier par l’apparition de multiples moulins à papier (j’en compte 29 sur la maquette exposée au musée de la Sée mais il y en avait une quarantaine). Ces derniers utilisaient la rivière à la fois comme source d’énergie et comme matière première dans la fabrication du papier. La matière première constituait en chiffons de coton et de chanvres, en cordages et débris de voiles en provenance des villes côtières. D’abord de Bretagnes, puis, à partir de 1835, de Granville, alimentées des voiles des terre-neuvas.
La papèterie de Girard était une des plus grandes de la Manche, avec 60 ouvriers, et avait ceci de particulier que se fabriquait là pour la première fois des feuilles sortant de rouleaux, au lieu de plaques précédemment. Mais la filière évolue. Le progrès du machinisme, l’emploi de la pâte de bois et l’isolement de la vallée concours à mettre en déclin l’implantation industrielle de la production de papier dans ce bassin. L’entreprise fait faillite en 1848. En 1861, l’usine, alors dans les mains des frères Reine, est ravagée par un incendie.
Entre 1860 et 1870 les moulins de la vallée reculent et se transforment en ateliers métalurgiques et filatures. Mais le moulin de la Sée continue néanmoins de fonctionner pour le papier jusque vers 1880, où il est alors l’une des deux dernières papèteries en activité. La famille Levallois le rachète en 1907 et le transforme en usine à soufflets industriels et domestiques. Après la seconde guerre mondiale, il est reconverti en scierie puis, en 1965, laissé à l’abandon. En 1989, le District de la Sée (Communauté de Communes du canton de Sourdeval) le rachète pour y installer l’Éco-musée du Moulin de la Sée, inauguré en mai 1996 (repérez le Moulin de la Sée sur une carte sur OpenStreetMap).
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Girard jeune | Girard en maître de maison, avec la baie d’Avranches et le Mt-St-Michel en arrière plan | Adrienne Desfeux son épouse |
Page créée ca. 2001, par Baptiste Marcel, dernière mise à jour le 06/06/2015 AD.
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